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LA BATAILLE DE SAN ROMANO
3 ÉPISODES PARSEMÉS A TRAVERS L'EUROPE
 

Avec Masaccio et Piero della Francesca, Paolo Uccello apparaît comme l'une des personnnalités les plus marquantes de la Renaissance florentine et se distingue par une recherche permanente de la pureté de la forme et de l'expression. Tout en ayant l'estime des artistes de son temps, il suscite chez eux des critiques pour sa recherche systématique des règles. A une époque dominée par l'ordre rationnel de Brunelleschi ou les conquêtes de Donatello et de Masaccio, l'oeuvre d'Uccello est traversée par une réflexion passionnée sur la perspective linéaire et montre un goût prononcé pour la plasticité des formes. Elle étonne par son caractère fantastique.
 
Ce qui suit concerne la vie de Paolo Uccello. Vous pouvez cependant sauter ce paragraphe pour mieux vous intéresser à son oeuvre grandiose :  La Bataille de San Romano

PAOLO UCCELLO

Sept ans après sa naissance à Florence en 1397, d'un père barbier et chirurgien, Paolo Uccello travaille comme garzone di bottega dans l'atelier de Ghiberti où il côtoie Masolino, Donatello et Michelozzo. Alors que le génial sculpteur achève sa première porte du Baptistère de Florence, il compte parmi ceux qui participent, humblement, aux finitions de ce chef-d'oeuvre et reçoit cinq florins par an... Il a 18 ans lorsqu'il s'inscrit à l'Art des Médecins et des Apothicaires, et réside dans la paroisse de Santa Maria Nepoticosa. Avec Masaccio, il entre en 1424 dans la Compagnie des peintres de San Luca.

Formé à la peinture et à l'orfèvrerie, Uccello est aussi un mosaïste, et c'est en cette qualité que les Vénitiens l'appellent pour refaire les mosaïques de la basilique de San Marco, détruites par un incendie. Il y travaille cinq ans, à la suite de Jacobello della Chiesa, jusqu'en 1430, année où il rentre à Florence conquise par le génie de Masaccio. Autant son séjour en Italie du Nord lui a fait connaître les derniers feux du gothique tardif, autant son retour en Toscane s'effectue dans un climat où l'émulation qui règne à Florence a pour objet les principes de la revolution picturale, posés par Brunelleschi et mis en pratique par Donatello et Masaccio. Dès 1432, il demande à travailler pour Santa Maria del Fiore et les fabriciens (membres du conseil de fabrique d'une l'église) du Dôme s'adressent à l'ambassadeur de Florence à Venise pour se renseigner sur la qualité et les prix "d'un certain Paolo Dono de Florence, maître mosaïste, qui, à Venise, a exécuté une figure de Saint Pierre pour une façade de San Marco". C'est donc sur des oeuvres destinées à la cathédrale et aux églises florentines qu'il travaille pendant plusieurs années. Il signe en 1436 son premier travail monumental, le Monument équestre du celèbre condottiere anglais John Hawkwood, que les Italiens appellent Giovanni Acuto ; l'année même où Leon Batista Alberti achève son Traité de la peinture en le dédiant à Filippo Brunelleschi.

En 1394, la Seigneurie de Florence avait manifesté la reconnaissance de la ville en érigeant à l'intérieur du Dôme un monument célébrant le condottiere qui avait mené à la Casaria les troupes florentines à la victoire. On abandonna vite le projet initial, qui prévoyait un monument de marbre, pour lui substituer une peinture à fresque confiée à Agnolo Gaddi et Giuliano d'Arrigo. Sans doute, l'exécution de ce premier travail déplut aux commanditaires, qui invitèrent Uccello à effacer les figures du cheval et du cavalier ; et c'est pourquoi on le chagea de renouveler l'ancienne peinture commémorative.

En quelques semaines, Uccello accomplit sa mission d'une façon spectaculaire. La qualité du Monument de John Hawkwood a séduit les fabriciens du Dôme qui décident de confier à Uccello en 1443 un nouveau travail de décoration mentionné par Vasari. Dans le même temps, il est chargé de réaliser quelques cartons pour les vitraux des oeils-de-boeuf de la coupole du Dôme, auxquels Ghiberti, Donatello et Andrea del Castagno ont eux-mêmes travaillé. Malgré les affectueuses critiques de son ami Donatello, qui lui reproche d'abandonner "le certain pour l'incertain", il passe son temps à dessiner des polyèdres.

Après la Bataille de San Romano, Paolo Uccello quitte Florence afin d'exécuter, à la demande de la Confrérie du Saint-Sacrement d'Urbino, la prédelle du rétable de l'église du Corpus Domini. Nul ne sait si le travail d'Uccello répond à l'attente des membres de la confrérie. En tout cas, Paolo Uccello revient à Florence où il meurt en 1475.
 
 
 LA BATAILLE DE SAN ROMANO

Cette oeuvre, ou plutôt ces oeuvres, puisqu'elles sont au nombres de trois, ont pour thème principal le fameux combat où les Florentins et leur chef Niccolo da Tolentino défirent les Siennois commandés par Bernardino della Ciarda, le 1er juin 1432. Paolo Uccello le traite en trois épisodes :

Aujourd'hui dispersés à Londres, Paris et Florence, les tableaux composent un cycle commémoratif qui ornait autrefois un cabinet du palais construit par Michelozzo (Palais Médicis à Florence).

Les trois panneaux réalisés par Uccello devaient satisfaire une commande de Cosme de Médicis (1389 - 1464). Paolo Uccello en profite pour mettre en valeur son expression de la monumentalité et de la perspective.

Les trois phases de la Bataille de San Romano mettent en valeur la personnalité des condottieri, dans la grande tradition de Pietro Lorenzetti. Le peintre exalte ici l'action militaire et politique.

Les chevaux d'Uccello sont autant des animaux réels que les attributs incontournables de la caste qui les monte, et le symbole des tournois où, comme dans les actes de guerre, se forgent les vertus militaires. La chevalerie survit au fracas d'Azincourt et de Gallipoli, sous la forme de rituels et comme un moyen éminent de l'action quotidienne.

Le mazzocchio est présent, lui aussi, presque en tant qu'étude, ceignant la tête de quelque guerrier. (Le mazzochio est l'un des objets privlégies de Paolo Uccello : c'est le couvre-chef florentin de bois et d'osier, véritable support du grand bonnet drapé et de la longue écharpe.)

Les objets que peint Paolo Uccello ne comptent pourtant pas parmi les premières natures mortes de la peinture occidentale - les Flamands l'ont précédé dans l'art de promouvoir d'humbles choses.
 

Il vous est maintenant proposé de découvrir les 3 panneaux de cette bataille en suivant l'ordre chronologique

Premier épisode de la bataille : Niccolo da Tolentino à la tête des Florentins (National Gallery, London)


Ce panneau fut peint en 1456 avec de l'huile sur bois. Il mesure 3,20m de longueur pour 1,82m de largeur.
Les chevaux qui jonchent le sol dans cette scène jalonnent en fait l'espace imaginaire. Les armes brisées ou hors d'usage structurent le terrain dans un jeu de lignes et de volume ; les hampes ou les lances de combat composent par les parallèles, les perpendiculaires et les obliques qu'elles forment, une construction de lignes droites dont le point de fuite se dérobe à la vue du spectateur derrière la monture de Niccolo da Tolentino. Casques et boucliers renversés complètent ces armes emblématiques. Au premier plan, une masse en fer gît entre les pattes des chevaux : l'homme semble avoir totalement disparu sous la cuirasse traitée en perspective. Seuls, dans ce combat sans visage, Niccolo et son écuyer à la tête découverte conservent une apparence humaine.
Pour réaliser cette séquence de la bataille, Paolo Uccello a employé deux perspectives différentes : avec ses divisions et son cloisonnement, le fond du tableau a une perspective médiévale tandis que le premier plan obéit à une perspective fuyante.

Second épisode de la bataille : La contre-attaque de Micheletto da Cotignola (Musée du Louvre, Paris)


Ce panneaux fut peint également en 1456 avec la même technique d'huile sur bois. Il mesure 3,15m de longueur pour 1,80m de largeur. Ce tableau ornait jadis une salle du Palais Médicis à Florence. La décoration fut vraisemblablement commandée par Cosme de Médicis pour commémorer la victoire de Florence sur Sienne. Cette oeuvre fut complétée à la partie inférieure gauche et à la partie supérieure droite pour s'adapter (sans doute) à l'architecture d'une autre pièce située cette fois dans le nouveau palais dont la construction fut achevée vers 1452. Ce panneau entra au Louvre en 1863 après un séjour à Rome dans la collection Campana.
Chaque composition ne conserve pas moins sa propre unité avec le jeu des hampes dressées vers le ciel, les oriflammes qui claquent au vent, ou encore les jambes des fantassins et les pattes des chevaux dans cette séquence de contre-attaque. La bataille qui se déroule sous nos yeux prend l'aspect d'un monstrueux combat. Uccello travaille sur les armures dont les plaques d'argent miroitent dans la pénombre et sur les casques qui vont de l'armet (en usage à l'époque) au cimier le plus fantastique, dont seules les oeillères ouvrent le regard à l'existence. Dans cette formidable mêlée, les heaumes finissent par se confondre avec la tête des chevaux. La contre-attaque de Micheletto qui se détache de l'ombre est baignée par une lumière artificielle.
Pour peindre cet épisode, Uccello a utilisé la feuille d'argent pour produire des effets de réflexion et de multiplication des images.

Troisième épisode de la bataille : Bernardino della Ciarda désarçonné (Galleria degli Uffizi, Firenze)


Ainsi que ses deux autres "jumeaux", ce panneau fut peint en 1456 avec toujours de l'huile sur bois. Il mesure 3,23m de longueur pour 1,82m de largeur.
L'étude de la perspective prend avec Paolo Uccello une dimension quasi maniaque, au point de conférer à cette composition presque un sens d'irréalité abstraite, dans le jeu agité des raccourcis hardis des chevaux tombés à terre, des longues lances, de la rigueur des formes géométriques, le tout situé dans un paysage imaginaire aux couleurs sombres. C'est justement cette caractéristique qui constitue aujourd'hui la séduction et la "modernité" de la peinture du maître.
Ce tableau est celui qui permet le plus d'apprécier l'imaginaire de Paolo Uccello qui, pour représenter le cheval qui se cabre, comme les montures des autres cavaliers, prend ses modèles dans les manèges de chevaux de bois et leur donne un pelage blanc, noir, bleu ou rouge. Ses chevaux sont figés, alors que le choc des deux troupes impliquerait un traitement dynamique de la scène. Ils paraissent immobiles quand ils ruent.
Les lignes directrices des trois panneaux mènent tourtes vers le choc de la lance sur la cuirasse de Bernardino della Ciarda.
L'illumination artificielle de Paolo Uccello par des sources extérieures ressemble à celle dont se sert un décorateur de théâtre, et l'événement que met en scène Uccello mobilise les accessoires et les artifices des représentations théâtrales ou des fêtes de la Renaissance florentine. Le monde de la Bataille de San Romano est un univers irréel vers lequel l'oeil qui tente de reconstruire des figures singulières s'égare comme dans un labyrinthe.


 Ce détail permet de bien voir les chevaux affalés ou ruants qui sont caractérisés par une rigidité de bois qui fige véritablement la bataille.

Avec cette oeuvre, Paolo Uccello s'éloigne des peintres de la Renaissance, dont l'intérêt se concentre avant tout sur la figure humaine. L'homme qu'il représente semble toujours plié aux exigences de la nature, qu'il soit chargé de tout le poids de la matière dans les scènes de la Genèse de Chiostro Verde, entraîné par le déchaînement des éléments au cours du Déluge universel ou transformé en figure de théâtre dans les trois épisodes de la Bataille de San Romano.

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